La prévention du suicide : une question actuelle de santé publique et de société
novembre 2025

L’enfant vient de naître, il est projeté dans la Vie qui lui est donnée, un beau cadeau le plus souvent.
À la suite d’André Comte-Sponville, rappelons-nous que « dès sa naissance, jusqu’à sa mort, une solitude fondamentale habite l’homme. Être seul, c’est être soi, rien d’autre. Comment serait-on autre chose ? Personne ne peut vivre à notre place, ni mourir à notre place, ni souffrir, ni aimer à notre place, et c’est ce qu’on appelle la solitude : ce n’est qu’un autre nom pour l’effort d’exister ». Hélas, la Vie parfois est un fardeau si lourd qu’il conduit certains à la quitter, faute de ne plus trouver la force de vivre.
L’Observatoire des souffrances psychiques 2025, publié par SOS Amitié, montre que les moins de 25 ans (qui représentent 6,2% de la totalité des appels reçus par les écoutants de la ligne de téléphonie sociale) évoquent le suicide dans 22% des cas.
Il y a suicide et suicide : le suicide longuement préparé avec scénario, le suicide pulsionnel par passage à l’acte souvent violent, la tentative de suicide…Le plus souvent, le suicide apparaît comme la seule solution pour mettre fin à des souffrances physiques et/ou psychiques intolérables.
C’est ce que m’explique Sandrine qui submergée par sa grande solitude, ses soucis familiaux, économiques, médicaux a attenté à ses jours : « Je ne voulais pas mourir… J’ai peur de la mort, je voulais juste dormir pour oublier. » Après cinquante jours de coma et trois mois d’hospitalisation, elle se bat pour la vie. Il a suffi de quinze minutes d’écoute pour que Valérie renonce au suicide et me dise : « Je vous laisse, je cours embrasser ma mère. » Quant à Marielle, elle tape « suicide » sur internet, trouve le numéro de SOS Amitié, tombe immédiatement sur une écoutante avec qui elle échange une heure durant, au milieu de la nuit, et renonce au suicide, elle qui voulait sauter par la fenêtre…
Il est difficile de parler de ses idées suicidaires aux proches qui, plongés dans l’inquiétude et la peur, peuvent tenir des propos inadaptés comme « Ne fais pas ça, tu as tout pour être heureux, ça va s’arranger, repose-toi, avec un peu de volonté ça va aller… »
En réalité, « la demande de celui qui parle de sa souffrance, c’est que quelqu’un supporte qu’il parle de sa souffrance non pas qu’il l’annule » (Denis Vasse, jésuite, psychanalyste). Si la personne n’est pas entendue dans sa véritable détresse, elle se referme, l’idée funeste continue son chemin en sourdine.
« Quelqu’un à qui parler…Nous avons tous besoin de cela. Non pas quelqu’un avec qui converser ou qui nous approuve mais qui reste là simplement, se taisant, écoutant », écrivait Albert Camus. Écouter c’est commencer par se taire, se contenter d’être là, c’est être vide de soi-même pour faire une place à l’autre. L’écoute empathique, bienveillante, non directive, sans jugement, sans conseil est primordiale.
La mise en mots, c’est un début de mise à distance du projet suicidaire, une transformation : dire n’est pas faire. L’idée se déploie dans les mots et peut se préciser, être reconsidérée et finalement disparaître. Faire crédit à l’autre, ne pas à tout prix vouloir le comprendre, mais plutôt l’aider à se comprendre en le laissant s’exprimer, en lui servant de miroir, ne pas s’identifier, ne pas se projeter, mais reformuler, paraphraser.
L’écoute n’est pas magique mais elle est créatrice de lien, ce lien social qui manque tant dans notre société et qu’il est urgentissime de recréer. L’autre, notre alter ego est un puissant agent de transformation. Troquer « l’avoir » de notre société de consommation pour « l’être », nourrir sa vie intérieure de choses simples, à portée de main : le silence, l’écoute d’une musique, la prière, la lecture, ce « supplément d’âme », la marche, un échange amical, autant de façons de reboiser son âme et de tenir à la Vie en cas de pépin…
Élisabeth Duntze, ancienne écoutante de SOS Amitié.
Pour aller plus loin, films proposés :
- Tout pour être heureux ? de Jérôme Adam, 2022
- Valeur sentimentale de Joachim Trier, 2025
